Costa LEFKOCHIR - Un parcours

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"Mémoire du temps", 1992

Cette rencontre avec l’univers musical n’est pas la première. Costa Lefkochir a en effet réalisé une série de peintures pour l’Opéra Royal de Wallonie à Liège. Sa palette se limitait alors à trois couleurs : le bleu, le jaune et le rouge. Le rouge, explique-t-il, c’est l’énergie, la vie, la passion, ce qui demande une exigence de vie. Le jaune, c’est la lumière, le côté féerique, l’opéra, la sublimation. Et le bleu est le moment où l’homme décide de quitter le quotidien. C’est le moment d’élévation.” Véritables partitions chromatiques, les études réalisées sur l’opéra ont fait l’objet d’une installation au Musée d’Art Moderne et d’Art contemporain de la ville de Liège.  Tout un pan de mur était ainsi investi par quarante huit petits formats carrés qui exprimaient les couleurs de la musique, ses envolées lyriques, ses accords sublimés, mais aussi les moments où elle s’élève et suspend ses notes. Mais plus encore que la musique, ce que saisit Costa Lefkochir, c’est l’émotion qui bouleverse les âmes et la spiritualité portée par les accords : ce qui fait de la musique un outil de dépassement, comme la peinture.
La peinture de Costa Lefkochir gère sa gestualité avec une sobriété forte. Il s’agit d’une peinture habitée qui se dérobe à toute abstraction pure, radicale, pour multiplier les allusions sensibles. Elle se présente à nous comme tatouée d’errance existentielle, de fragments de mémoire camouflée. Ses hautes toiles verticales organisent des passages fluides où se module toute la gamme des jaunes, du jaune d’or au jaune de Naples.

Exposition au MAMAC, Liège, 1995

 "Prince au Lys", 1995
Mais d’autres accents fiévreux nourrissent sa palette.
Et l’effervescence des gris, les lambeaux de brun sourd, les îlots de noir, les carrefours de blanc entament, rongent, déchiquettent le rayonnement solaire. Le mouvement demeure constamment à l’affût et fait surgir des instants de pulsions, de déséquilibres vitaux. Ses tableaux peints à l’acrylique sur papier sont ensuite marouflés sur toile et ne connaissent aucun matérialisme en saillie. Au contraire, ils captent des densités colorées, mates, lisses, mais convoquent également l’archipel des aquarelles raffinées qui accueille toue la richesse fluctuante des transparences. Il y a dans les compositions libres, aventureuses de Lefkochir une scansion répétitive, une musique picturale qui murmure doucement les mêmes refrains.

Ses œuvres de petite taille, de format carré, agitent des signes noirs et blancs translucides et focalisent le regard. Ce sont des écritures d’ombre, assez austères qui recèlent toutefois une ferveur pudique et qui nient toute célébration funèbre.
Costa lefkochir au jeu des équivalences crée une poésie plastique éloignée de tout verbiage littéraire. Ce qui incontestablement constitue une rare qualité.

 Jo Dustin.

En octobre 1996, Costa Lefkochir installe dans l’église de Hannut la série intitulée ”Chemin de vie”. Il s’agissait de remplacer le chemin de croix. Costa Lefkochir, dans l’élan de Mémoire du temps rendra un hommages empreint d’une forte spiritualité à Jésus, à travers les douze moments de la vie de Jésus qui composent cette série. ”La vie de l”homme nommé Jésus, fut un engagement total orienté vers une nouvelle façon de penser et de vivre. Chaque moment de sa vie est un exemple à suivre pour entamer ce chemin qui conduit vers la vie. La mort qui a interrompu ce parcours unique et hors du commun ne reflète que la tragédie d’une mort provoquée par les hommes de son époque. Mettre en évidence ces moments de souffrance qui ont amené à son assassinat ne représente à mes yeux que la continuité de cette œuvre mal inspirée et cruellement jouée par ses contemporains.
En revanche, rappeler divers événements de sa vie, vécus au milieu des hommes et des femmes qu’il a aimés, des moments d’intimité, à travers lesquels il a partagé une parole de paix, d’ouverture et de liberté, me parait essentiel.


"Trace de vie", 1997
Il fut une onde d’amour qui toucha des cœurs, transforma des vies, ébranla des institutions et se répand encore à travers l’espace et le temps”.La vie intérieure que trace Costa Lefkochir dans ses œuvres abstraites, lyriques, émotionnelles, conduit simplement vers un sacré totalement dénué de religion. Un sacré qui se repose sur la pensée de l’être où tout est fragment. L’essentiel de l’œuvre n’est pas inscrite directement sur la toile, mais sur le papier qui de tout temps a porté les traces de l’aventure humaine. Les éléments s’associent, se cherchent, se couvrent, s’estompent un peu plus au passage d’une brosse dont la couleur fait jaillir une nouvelle dimension et réalise un instant de vie, éphémère, imparfait, in-fini, mais unique.
Du symbole suggéré dans les séries anciennes, il ne reste peu à peu que l’essentiel. La forme oblongue de ”Mémoire du temps” prend un contour ferme, serein et présente la coupe aux lèvres de notre regard. Les couleurs pures aussi n’apportent que l’impact émotionnel de l’instant. Rares, elles se placent entre le blanc éthéré, parvenu à se dégager des profonds abîmes où le noir, loin d’être sombre et négatif représente un amas méditatif en pleine recherche.

"Chemin de vie : Devant Pilate", 1996
LE DÉPASSEMENT
L’œuvre de Costa Lefkochir est une invitation. Y répondre ne conduit pas seulement à une rencontre esthétique impressionnante voire éblouissante, mais entraîne à une forme d’approfondissement qui prolonge le plaisir des sens et de l’esprit, par appel à l’adhésion première ou tout au moins à un questionnement sur ce que pourrait être l’essence et la finalité du monde et des êtres. Bien que foncièrement non figuratif, le langage pictural induit donc une lecture qui pousse le regard au delà des apparences formelles et chromatiques pour s’ouvrir littéralement sur un monde délivré des contingences et des messages mais néanmoins constitué d’une densité vitale…
…Dans cette voie, il est certain que les éléments qui composent et structurent la peinture de Costa Lefkochir, agissent en tant que catalyseurs et se gonflent d’un poids symbolique. Ainsi, les couleurs mélangées aux tonalités sobres et réservées, dans la clarté comme dans les flammes foncées constituent, en soi et de fait, un univers unique, incomparable, in identifiable, une sorte d’élément d’une cosmogonie fantasmée ou en tout cas de l’ordre de la pensée pure, de l’indicible. Dés lors, ce traitement chromatique, entre sa propre richesse purement picturale par la subtilité des nuances, les transparences, les fibres nerveuses, mène vers des ailleurs dont le mystère provoque le questionnement.
Les formes, vrais ou faux carrés irréguliers, traversés de fulgurances sont éléments architecturaux indispensables à l’harmonie structurelle autant que noyaux et appâts aspirant vers les insondables et énigmatiques profondeurs. Quant aux journaux collés, sous-jacents, à peine visibles, aux textes illisibles, ils apparaissent, déjà partiellement enfouis en voie de disparition, comme les gardiens et les strates d’une mémoire de notre monde, comme les liens avec une histoire vécue, oubliée trop souvent en des amnésies involontaires ou conscientes selon les circonstances.Cette présence, également structurante bien que lointaine, de l’ordre du souvenir, est le seul élément tangible dont la conservation semble procéder du sauvetage in extremis.

Entre ces composantes plastiques et leurs charges allusives d’évasions immatérielles, se glisse, d’œuvre en œuvre, davantage que des sentiments et des émotions, la sensation étrange d’être transporté ou appelé là où les réalités matérielles n’étant que mémorielles, se révèle la nécessité de les dépasser pour accéder à un essentiel incommunicable qui n’est ni une vérité établie, ni une certitude, mais une aspiration.L’invitation lancée est celle d’un dépassement

Claude Lorent